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Le passage du Nord-Ouest

J’ai dit que l’équipement radio était régulièrement en service ; en effet, j’ai le privilège d’appartenir à la grande et belle famille des radioamateurs. Pouvoir disposer à bord d’une station, c’est réellement tenir un hublot ouvert sur l’amitié du monde. Certes, on peut se plaire dans la solitude et ne pas rechercher d’autre présence : mais qui se priverait volontiers de la chaleur d’un mot aimable, d’une gentillesse qui n’a d’autre raison que celle du cœur et à laquelle le total désintéressement confère rang fraternel ?

Oh ! j’entends déjà s’élever des voix, pour me dire que l’on ne peut goûter totalement le souffle du grand large si, en même temps, on maintient le dialogue avec la terre. Il est vrai que la plupart d’entre nous aiment retrouver en mer la vie simple et limpide qui a cours dans le grand domaine de la nature. Mais, justement ! je ne crois pas que l’on puisse vraiment aimer la nature si on ne communie pas aussi avec les hommes. (Je ne parle pas de la société, mais des individus.) On a beau s’émerveiller du vol de l’albatros : si on n’apprécie pas aussi le miracle de l’intelligence humaine, quelque chose ne va pas.

Il n’est pas douteux, d’autre part, que dans les conditions d’isolement et de danger propres à la navigation dans l’Arctique une liaison radio sert la sécurité et augmente notablement les de survie en cas de « pépin » grave.

Les bandes radioamateurs bénéficient d’une écoute permanente et un éventuel appel de détresse ne sera pas seulement entendu, mais trouvera sur-le-champ une multitude d’opérateurs, volontaires et capables, pour relayer l’appel à l’intention des services de secours. Je suis persuadé que dans les zones retirées et à faible trafic maritime les radioamateurs couvrent souvent mieux les besoins que le réseau professionnel, et cela seul justifie amplement l’installation de l’équipement à bord. Pour pouvoir opérer, une licence est nécessaire: l’examen n’est pas très facile et n’est réussi qu’au terme d’un effort. Je suis d’avis que c’est une heureuse chose, car elle exige du candidat qu’il soit réellement motivé et compétent ; l’un et l’autre formant la conjonction indispensable au maintien de la qualité dans les rapports sur les ondes.

Le but fondamental des radioamateurs est d’acquérir, par l’expérimentation, une connaissance approfondie des phénomènes électroniques et des lois qui régissent les communications par ondes hertziennes. Près de huit cent mille amateurs couvrent le monde entier, et les appareils émetteurs S.S.B. modernes permettent à chacun, sauf conditions particulières, de contacter les plus éloignés.

Traditionnellement, l’échange d’informations techniques constitue la justification des contacts, et beaucoup d’amateurs sont, très certainement, passionnés d’électronique. C’est d’ailleurs, en général, autour des discussions spécialisées, qui font en quelque sorte office de langage universel, que se découvrent d’autres points communs. Ainsi, au gré des contacts, on constate parfois avec surprise que la pensée d’un pêcheur patagon corrobore exactement la vôtre et qu’un petit artisan de Singapour vous formule les mêmes amabilités que l’employé de banque de Bogota, ou encore que l’ami Claude, de Toulouse.

Parfois, un dialogue ravit plus qu’un autre par la sympathie qu’exprime, au travers de ses seuls mots, un inconnu dont on n’a aucune image précise. Visage riant ou masque fermé, stature d’hercule ou gringalet.. qu’importe ! En ces instants étoilés, seul compte alors le langage du cœur. Par la suite, tout naturellement, s’établissent des contacts suivis — et rapidement, oubliant la technique, on se recherche comme des amis. Cela m’est arrivé à plusieurs reprises, et je n’oublierai jamais, entre autres, mes contacts avec Albert (FR7AK), que je retrouvais tous les matins sur les ondes. Il émettait depuis l’île de la Réunion, et je naviguais alors dans l’océan Indien. Le déclic s’était produit dès notre premier contact, et depuis je l’écoutais toujours avec plaisir. Il me vantait le charme de sa terre et je lui parlais de mon bateau. Un jour, j’ai accepté son invitation et fait escale à la Réunion. La première main que je serrais, avant même d’avoir amarré, était la sienne.

Willy De Roos, VK9XR, « Le passage du Nord-Ouest » , 1979

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